L’autre miracle ivoirien
En Côte d’Ivoire, l’on publie rarement des statistiques, il faut dire que nous n’avons pas cette culture des statistiques contrairement à certains pays comme la France, où régulièrement l’on publie un flot de statistiques, à savoir la cote de popularité du président de la République, le moral des ménages et le taux du chômage pour ne citer que ceux-là. Il va sans dire que le taux de chômage publié le 12 juillet dernier dans mon pays est un évènement en lui-même, taux qui selon un rapport l’Agence d’Etudes pour la promotion de l’Emploi (Agepe) est de 9 ,4 % de la population active. Nous félicitons donc le gouvernement en place pour cette initiative d’introduire dans les mœurs des Ivoiriens cette culture des statistiques… enfin, en espérant que cette publication ne sera qu’un début et non une exception. Mais au-delà de cette nouveauté instaurée par le gouvernement, que dire des chiffres publiés ?
Avant de nous prononcer cherchons d’abord les approches définitionnelles du mot chômage. Certains organismes comme le BIT(Bureau international du travail) considèrent comme chômeur toute personne de plus de 15 ans qui est sans emploi, qui est disponible et qui cherche activement du travail. Pour d’autres structures, le terme chômeur cumule en plus le fait que la personne est sous employée.
En Côte d’Ivoire, fin 2010 lors des campagnes pour l’élection présidentielle le candidat Allassane Dramane Ouattara, aujourd’hui chef de l’Etat affirmait que le pays comptait plus de quatre millions de chômeurs, soit près de 50 % de la population active. Il affirmait aussi que s’il était élu, il userait de ses compétences de grand économiste ainsi que de ces connexions au sein des institutions de Bretton Woods pour absorber le chômage dans une proportion d’environ 500 000 chômeurs par an. Quelques mois seulement après son accession au pouvoir, il revoyait en baisse la capacité d’absorption de chômeurs de sa politique économique passant de 500 000 à 50 000.
Le chiffre de quatre millions de chômeurs a dû logiquement augmenter ces trois dernières années car après les élections il y a eu une crise post-électorale dont l’une des conséquences est la destruction de nombreux emplois. A cela il faut ajouter les nombreux jeunes diplômés sortis des grandes écoles et universités ces trois dernières années. Jeunes qui à cause du chômage s’adonnent très souvent à des activités informelles en attendant d’avoir un emploi en adéquation avec leur diplôme ou niveau d’étude.
Mais si l’on s’en tient aux récents chiffres du chômage publiés par l’Agepe, les mots « chômage » ou « chômeur » n’ont-ils plus le sens qu’ils avaient lors de la campagne de la dernière présidentielle ? En d’autres termes le gouvernement à travers l’Agepe considère t-il un diplômé de BTS qui gère une cabine téléphonique ou une jeune diplômée de maîtrise qui vend de l’alloco comme des travailleurs alors que lors de la campagne présidentielle il considérait ces mêmes comme chômeurs ?
C’est évident, les chiffres publiés loin de refléter la réalité, semblent plutôt être le fruit d’un tour de passe-passe dont nos dirigeants semblent garder jalousement le secret.
Après ces chiffres du chômage publiés, si la population ivoirienne n’a pas eu de réaction officielle, elle a cependant vivement réagi sur la blogosphère, exprimant sa désillusion et sa frustration face à un rapport sur le chômage qu’elle considère comme une arnaque. Bref, ces chiffres du chômage publiés par l’Agepe sont tellement scandaleux que l’on se demande :
Qui a mené l’enquête pour l’évaluation du taux de chômage ?
Comment cette enquête a-t-elle été effectuée ?
Quel est l’intérêt de l’Agepe de publier des chiffres du chômage qui de toute évidence sont erronés ?
Le gouvernement a-t-il délibérément tripatouillé les vrais chiffres du chômage pour avoir bonne presse à l’extérieur ?
Le directeur général de l’Agepe les a-t-il falsifiés pour faire du zèle auprès de sa hiérarchie ?
Ces questions sont certes pertinentes, mais nous sommes bien réalistes ; avoir un jour les réponses relèverait du miracle. Or en Côte d’Ivoire ça fait longtemps que nous ne croyons plus au miracle.
Commentaires