La bande d’ordures

19 février 2014

La bande d’ordures

Quelle belle journée, n’est-ce pas ? Elle donne envie de se balader à travers la ville, d’aller dans un bon restaurant ou à la piscine, faire du shopping … alors apprêtez-vous, je vais vous faire visiter ma ville, Abidjan. Abidjan la belle, Abidjan la radieuse, la bouillante, la perle des lagunes …en tout cas ce ne sont pas les superlatifs qui manquent pour qualifier cette ville fantastique située au sud de la Côte d’Ivoire,  poumon économique de ce pays d’Afrique de l’Ouest. Suivez-moi je vous vais vous montrer tout ce qui caractérise ma superbe ville : les buildings du plateau (surnommé le Manhattan d’Afrique) les maquis à Yopougon et… oh mince ! Les ordures ! On ne pouvait pas les manquer celles-là ! On  ne peut pas faire 100 mètres sans en rencontrer un tas ou plutôt une montagne. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé de lutter, mais les résultats sont implacables : toutes les batailles contre les ordures se sont soldées par un échec.

Vous vous demandez certainement, comment est-il possible qu’aucun gouvernement n’ait pu réussir à mettre en place une politique efficace de gestion des ordures en Côte d’Ivoire, principalement dans la ville d’Abidjan ?

Tout porte à croire que le déclencheur de la grande production des ordures ménagères dans la ville d’Abidjan est l’augmentation effrénée et mal maîtrisée de sa population. Nul n’est sensé ignorer qu’après l’ indépendance pour des raisons aussi diverses que peu fondées, Abidjan a vu sa population croître à une vitesse vertigineuse.

Cet afflux massif de femmes et d’hommes vers Abidjan aurait dû alerter les autorités ivoiriennes d’alors sur les conséquences d’un tel exode dans les décennies futures. Elles se devaient de mettre en place une politique anticipatrice, novatrice et de longue durée de gestion des ordures en général, des ordures ménagères en particulier. Malheureusement, la politique d’anticipation n’est pas le fort des gouvernants ivoiriens surtout pour ce qu’ils considèrent comme de « petits problèmes ». Or l’ennui avec ce genre de « petits problèmes », c’est que lorsqu’ils sont négligés, ils ont tendance à se transformer en une grosse épine au pied de ceux qui les ont peu considérés ou de ceux qui en ont hérité.

Une épine, c’est ce que sont devenues les ordures ménagères aux  pieds de ceux qui ont eu pour mission de s’en occuper durant ces trente dernières années. Et il faut le dire tout net, ils ont manqué d’imagination, brillant surtout par leur incapacité à trouver une solution pour mettre fin au spectacle honteux qu’offrent les ordures ménagères dans les rues d’Abidjan.

Le plus scandaleux dans ce problème de gestion des ordures ménagères, c’est la même attitude de légèreté des différents gouvernements qui se sont succédé. Malgré les graves conséquences qu’il a pu et continue d’engendrer, à savoir dégradation de l’environnement et du cadre de vie des Abidjanais, les nombreuses épidémies dont il est le principal responsable, à l’exemple du  choléra qui a fait plus de 50 victimes en mi-mars 2012, les responsables politiques ont négligé la question. L’absence d’action d’envergure montre bien que pour nos gouvernants le problème des ordures est un problème secondaire qui ne mérite pas que l’on s’y attarde. Comme on aime à dire chez nous (et mettez-y l’accent ivoirien) « les ordures, c’est Blanc ça tue, ça tue pas Africain gros nez », c’est certainement pour ça qu’aucune véritable politique de gestion des ordures n’a été menée à ce jour.

Outre l’incompétence des différents ministres de la Salubrité, il faut dire que contrairement à la croyance populaire, les ordures sont une histoire de gros sous, donc attisent la convoitise de beaucoup d’hommes d’affaires dont certains sont parfois prêts à tout pour avoir les faveurs du ministère de la Salubrité urbaine. Ils n’hésitent pas à corrompre certains membres très influents de ce ministère, qui d’ailleurs est reconnu pour être depuis plusieurs années déjà l’un des ministères les plus corrompus du pays. Depuis un peu plus de vingt ans, il  est émaillé par différents scandales et soupçons de réception de pots-de-vin. Le dernier en date est l’affaire de l’appel d’offres qui a été suspendu par le président de l’Autorité nationale de régulation des marchés publics (ANRMP), et qui met en cause le cabinet de la ministre de la Salubrité d’alors, Anne-Désirée Ouloto dans une affaire de corruption.

On se rappelle qu’Anne-Désirée Ouloto allias maman bulldozer, ministre de la Salubrité urbaine, a de façon irrégulière octroyé le marché de la gestion des ordures ménagères dans le district d’ Abidjan, suite à un appel d’offres controversé à la société Satarem-Greensol.
Avec à la clé, des dessous de table de plusieurs millions de F Cfa.

Alors que la Société abidjanaise de salubrité (SAS), une société anonyme dont le capital est détenu à 65 % par la société belge Sirio Technologie et 35 % par l’Etat de Côte d’Ivoire, avait été créée pour régler ce problème chronique d’insalubrité de la ville d’Abidjan.

Satarem-Greensol, curieusement radiée en France, a en outre pour PCA, Salif Bictogo, frère aîné d’Adama Bictogo, membre du gouvernement et ministre de l’Intégration africaine.

Ironie du sort, celle qui faisait, il y a plusieurs mois, du tapage médiatique en se présentant comme la chevalière de la lutte contre les ordures ménagères, aujourd’hui, se retrouve elle-même sous les ordures de la corruption.

Une fois  » le scandale des ordures ménagères »  éclaté, les bulldozers ont été rangés au garage et on a plus entendu parler d’opération coup de balai. Quant aux ordures, elles  se dressent toujours aussi fièrement devant la population impuissante, et semblent narguer ceux qui hier criaient déjà victoire avant même de les avoir combattues.

Et en entendant les Ivoiriens espèrent et attendent toujours un messie de l’environnement qui trouvera la panacée à leur problème d’ordure, car comme on le dit au pays « découragement n’est pas ivoirien ».

 

les ordures d'abidjan

Étiquettes
Partagez

Commentaires

Mahi
Répondre

Je salue ton courage et je suis éberlué devant la sagacité avec laquelle est dépeind ce problème des ordures ménagères.

Evrard
Répondre

Bel article, bien redigé et bel enchainement donnant envie de le lire entièrement sans rater un seul mot. Encore plus bon est le contenu qui illustre malheureusement une reelle situation. Ce problème sera eridiqué lorsque sera evoqué dans l'article 1 de la constitution.